Les CFF lancent «Suisse Cargo Logistics» dans le but de développer davantage le fret ferroviaire. Où se situent les priorités? Quels sont les potentiels? Et qu’est-ce que cela signifie pour la clientèle? Nous avons posé la question à Franz Steiger, président du Conseil d’administration de CFF Cargo et responsable Finances des CFF, et à Désirée Baer, CEO de CFF Cargo.
Franz Steiger, vous avez repris la présidence du Conseil d’administration de CFF Cargo il y a cinq mois. Quelles sont vos priorités?
Franz Steiger: En tant que président du Conseil d’administration, ma priorité est actuellement de veiller à ce que les affaires courantes, très exigeantes, soient bien gérées. C’est-à-dire améliorer la sécurité, augmenter la ponctualité, réduire les coûts et répondre au mieux aux besoins de la clientèle. Pour ce faire, je collabore étroitement et volontiers avec la direction de CFF Cargo. J’ai une grande confiance dans la direction et dans les collaborateurs et collaboratrices. Parallèlement, nous voyons que le transport ferroviaire de marchandises dans son ensemble doit être développé, certes avec CFF Cargo au centre, mais aussi grâce à un chemin de fer intégré.
«Suisse Cargo Logistics»: sous ce nom se cache un projet des CFF qui a bout but de développer davantage le trafic marchandises, comme vous l’avez expliqué lors d’une conférence de presse le 28 septembre 2022 (voir encadré). Pouvez-vous nous en dire plus?
Franz Steiger: «Suisse Cargo Logistics» s’appuie sur les atouts du chemin de fer pour répondre aux nouveaux besoins du marché et de la clientèle. Le fret ferroviaire est écologique et permet d’économiser de l’espace. Nous avons des avantages que la route n’a pas, comme le transport de nuit ou l’absence d’embouteillages. Le transport de marchandises par le rail a un bilan carbone globalement neutre, en plus d’être efficace en termes d’énergie et de surface. Selon les prévisions de la Confédération, le transport de marchandises en trafic international et indigène augmentera d’environ un quart d’ici 2050. «Suisse Cargo Logistics» veut en profiter en étoffant l’offre de transport existante et en utilisant au mieux les aménagements de l’infrastructure déjà décidés. Le rail pourra transporter environ 60% de marchandises en plus d’ici 2050 et ainsi désengorger efficacement le trafic routier.
Désirée Baer: Le fret ferroviaire moderne demande vitesse et flexibilité. En collaboration avec la Confédération et les CFF, nous devons faire en sorte de pouvoir rouler plus vite. De plus, nous devons devenir plus flexibles en tant qu’organisation. En Suisse, le système ferroviaire est axé sur des cadences stables. En revanche, les clients veulent de plus en plus souvent des solutions rapides et flexibles. Nous devons nous orienter vers ces nouveaux besoins des clients.
Outre les progrès en matière de vitesse et de flexibilité, des aménagements sont également nécessaires au niveau de l’infrastructure. Quels sont-ils?
Franz Steiger: L’objectif est d’utiliser encore mieux l’infrastructure ferroviaire existante et future. Avec les étapes d’aménagement décidées pour 2025 et 2035, le trafic marchandises disposera de sillons supplémentaires et plus rapides. Le rail profitera ainsi de la croissance de segments où sa part de marché est encore faible. Cela est rendu possible avant tout par des terminaux performants destinés au trafic combiné qui simplifient l’accès au rail, réduisent les temps de transbordement et créent des conditions optimales pour combiner le rail et la route. Nous prévoyons d’ajouter cinq terminaux pour le trafic combiné entre Genève et Saint-Gall. Nous voulons également transformer, sur des sites centraux, les installations existantes en ce que l’on appelle des city hubs pour la logistique dans les domaines de la construction et de l’élimination, afin de désengorger les villes. Nous pensons construire entre cinq et huit city hubs.
Logistique urbaine et city hubs: de quoi s’agit-il exactement et comment CFF Cargo peut-elle profiter de cette tendance?
Franz Steiger: La circulation en ville devient de plus en plus problématique. Les city hubs nous permettraient de proposer des prestations d’élimination à des endroits centraux dans les villes, par exemple pour la logistique dans le domaine de la construction. Le train est prédestiné à ce type de transport. Les villes pourraient ainsi éviter beaucoup de trafic poids lourds.
Désirée Baer: Là où d’autres commencent seulement à parler de logistique urbaine, nous avons déjà fait des expériences prometteuses. Nous avons créé un modèle à Zurich: les déchets de chantier, le verre usagé et le papier peuvent être déversés et transbordés sur le rail non loin de la Prime Tower. Depuis peu, on y trouve également une installation pour le béton de recyclage. Les déchets de démolition provenant de la ville sont ainsi directement recyclés. Spross et CFF Cargo ont mis en place ensemble le hub pour le recyclage et l’élimination des déchets. Nous pouvons nous inspirer de telles expériences. C’est un modèle que l’on peut étendre à d’autres villes.
Un des piliers de Suisse Cargo Logistics est le trafic par wagons complets (TWC). On en parle actuellement beaucoup dans les médias et en politique. Quel est l’avenir du TWC?
Désirée Baer: Le trafic par wagons complets est la colonne vertébrale du transport ferroviaire et doit le rester. Dans un premier temps, nous voulons stabiliser le TWC. Pour ce faire, nous avons besoin du soutien financier de la Confédération, car le TWC n’est pas rentable. C’est là que «Suisse Cargo Logistics» entre en jeu. Nous voulons investir pour nous développer sur de bonnes bases. Autrement dit, d’abord stabiliser, et ensuite développer.
Franz Steiger: Nous parcourons actuellement 45% des tonnes-kilomètres nettes en TWC. Si la Suisse veut maintenir ses objectifs de transfert modal, elle aura toujours besoin du TWC à l’avenir. Comme le dit Désirée, il est impossible de couvrir les coûts du TWC actuellement. Cela signifie que nous ne pouvons continuer à l’exploiter que si un mandat politique est donné à cet effet, avec les subventions correspondantes. Le projet de loi de la Confédération devrait être mis en consultation cet automne auprès des cantons, des partis politiques, des associations et d’autres acteurs. Dans une deuxième phase, nous devons devenir plus efficaces et augmenter clairement la productivité du TWC.
Les opposants veulent supprimer le TWC. Pourquoi le TWC est-il si important pour la Suisse?
Franz Steiger: Notre clientèle tient beaucoup au TWC, elle a besoin de ce trafic pour desservir un réseau très étendu en Suisse depuis des sites centraux. Le TWC est également essentiel à l’approvisionnement du pays. Avec le TWC, CFF Cargo contribue donc grandement au bon fonctionnement de l’économie suisse.
Désirée Baer: Si l’on analyse la tendance du marché, nous constatons que nous transportons de moins en moins de biens industriels et de plus en plus de biens de petite taille. Qu’est-ce que cela signifie? Les petites marchandises comme les pièces de rechange, les produits alimentaires ou les marchandises commandées sur Internet doivent être livrées rapidement. Les clients travaillant avec des quantités plus petites et plus flexibles dépendent du TWC. Cela implique que, à l’avenir, la Suisse a besoin de ce trafic groupé si elle souhaite accélérer le transfert de la route vers le rail.
Vous parlez beaucoup d’avenir et d’efficacité. Il est certain que le transport de marchandises par le rail a de grands progrès à faire en matière d’automatisation et de numérisation. Sur quelles améliorations CFF Cargo travaille-t-elle actuellement?
Désirée Baer: En raison des faibles marges dans le secteur du transport de marchandises, peu d’investissements ont été réalisés dans l’automatisation et la numérisation au cours des dernières décennies dans toute l’Europe. Maintenant, nous ne pouvons plus attendre, sous peine de rester sur la touche. Nous avons déjà automatisé le réseau de trafic combiné intérieur et sommes ainsi pionniers en Europe. Il s’agit en premier lieu de l’attelage numérique automatique et de l’essai de frein automatique. Ces éléments d’automatisation permettent d’augmenter la rapidité, la flexibilité et, pour les collaborateurs et collaboratrices, la sécurité. Leur mise en œuvre complète nécessite toutefois un soutien financier substantiel de la part du monde politique, non seulement en Suisse, mais aussi en Europe. Nous sommes également en train de remplacer les anciens systèmes et de numériser l’ensemble de l’interface clientèle ainsi que les processus de planification et de répartition.
Des investissements dans l’automatisation d’une part, et dans le développement des infrastructures d’autre part. Comment les CFF financent-ils ces projets?
Franz Steiger: Nous prévoyons des coûts d’un milliard de francs pour les terminaux et les city hubs, et d’environ 500 millions de francs pour l’automatisation du parc de véhicules d’ici 2040. Le financement des installations se fera par le biais des subventions existantes de la Confédération dans le cadre des étapes d’aménagement 2025 et 2035, et par des investissements des CFF. Un financement mixte doit également être mis en place pour l’automatisation et la numérisation. Les CFF feront leur part.
Où la clientèle Cargo ressentira-t-elle concrètement les changements opérés chez CFF Cargo?
Désirée Baer: Tout d’abord, nous nous sommes organisés de manière à mieux répondre aux besoins de la clientèle, en particulier en cas de perturbations et de demandes ou changements de dernière minute. Ensuite, la clientèle doit percevoir la valeur ajoutée de nos projets de numérisation. Elle doit aussi se rendre compte que nous investissons dans des solutions innovantes et créatives. L’époque de la solution unique est révolue. Nous venons par exemple de lancer un projet pilote innovant avec La Poste suisse. Dans ce cadre, nous avons créé un train-navette avec des locomotives aux deux extrémités. Cela nous permet d’accélérer le processus logistique, de transférer davantage de volume de la route vers le rail et d’économiser ainsi du CO2 et de l’énergie.
Délester le trafic routier, c’est aussi l’objectif du projet «Cargo sous terrain». Les CFF viennent de faire savoir que CFF Cargo cédait sa participation minoritaire de 1,7% dans «Cargo sous terrain». Pourquoi?
Franz Steiger: Avec «Suisse Cargo Logistics », nous nous concentrons sur les atouts du chemin de fer. Nos projets de croissance requièrent toute notre attention et toutes nos forces. Si la Confédération et les contribuables mettent à notre disposition un réseau qui fonctionne, il est de notre devoir d’exploiter ce réseau de manière optimale. Et, comme je l’ai dit, il y a un grand potentiel: grâce à «Suisse Cargo Logistics», le rail pourra transporter environ 60% de marchandises en plus d’ici 2050.